La permanence urbaine et architecturale

Sophie Ricard est architecte, elle est la fille de Michel Ricard, urbaniste de renom. Elle développe donc très jeune sa sensibilité à l’architecture. Intéressée par le travail de son père sur les grands ensembles tels que le val fourré à Mantes-la-Jolie, Montfermeil, etc., Sophie comprend rapidement l’importance d’inclure les habitants définis comme toutes ces personnes qui font vivre la ville, le quartier (riverains, commerçants, assistantes sociales, éducateurs, etc.) sur le terrain et dans le travail avec les architectes.

Elle suit la formation Architecte urbaniste de l’école d’État d’architecture de Versailles en 2009. Sophie suit un stage auprès de Patrick Bouchain, architecte qui propose une nouvelle façon de concevoir la ville autrement avec ses habitants.

Elle s’engage pendant ses études auprès d’architectes constructeurs qui ont décidé de faire autrement.

« Je m’engage au service de la fabrique de la ville, au sens politique et sociétal car on ne peut pas penser la réponse à un appel d’offre sans comprendre sur quel territoire s’inscrit la commande publique, pour quel type d’usages, à qui ça s’adresse ? »

Elle réalise un stage au laboratoire « comment construire ensemble le grand ensemble » de l’agence Construire auprès de Patrick Bouchain, pour le projet de Boulogne sur Mer sur la réparation de l’habitat social. Avec les habitants, l’équipe municipale et l’OPHLM, il est décidé de réhabiliter avec l’ensemble des acteurs de la résidence et sur les fonds propres de l’OPHLM plutôt que de démolir avec les fonds ANRU. Il s’agit donc d’une expérimentation de réhabilitation de 260 logements en sites occupés selon la méthode de la preuve par 7 de « permanence architecturale » en habitant sur place, avec l’idée de démontrer que si l’architecte arrive à habiter l’inhabitable c’est que ce n’est peut-être pas si inhabitable que cela. Les personnes sur place ont pu s’inventer une façon de s’approprier le logement social. « Il s’agit donc de repartir de cette valeur d’appropriation en redonnant du pouvoir d’entretien au locataire afin qu’il se réapproprie l’espace. »

Le constat

« On ne peut pas rester entre corporations et on ne peut pas fabriquer la ville et des équipements qui sont uniquement dédiés à une activité, ou à un type de profil ou statut de personne. On a besoin de retrouver des espaces de vie et de rencontre dans la vie collective d’où le lien entre architecture et tiers-lieux. »

De même, on ne peut pas dissocier logement et travail qui se rejoignent car nos modes de vie et de travail ont changé. Depuis la nuit des temps, l’homme s’est toujours installé là où il travaillait et on l’a oublié, on a décousu cela ;

Après-guerre on a logé en masse sans penser au lien au travail, on a segmenté la ville et déplacer des populations, en se disant qu’on allait créer des zones d’aménagement pour se loger, pour travailler, pour consommer et « on a donc dissocié notre façon d’habiter sur le territoire et notre façon d’y travailler alors que pour moi, tout est lié.

Et quand on a réinventé les tiers-lieux, l’homme avait juste besoin de réinventer ces liens, qui ont été distendus sur le territoire. »

Les questions d’urbanisme et d’aménagement du territoire sont une cause sous-jacente des crises successives de ces dernières années (banlieues, gilets jaunes, etc.).

La définition du tiers-lieu selon Sophie Ricard

Le tiers-lieu, c’est la relation entre un espace lieu, un espace-temps et des individus (la communauté) où l’on peut tester des choses.

C’est un lieu de « non programme et donc ouvert à tous», convergence entre des personnes qui se sentent le droit et la liberté de s’approprier un endroit, un espace pour y tenir des activités et surtout pour expérimenter.

Le tiers-lieu est un lieu tiers, un laboratoire d’innovation sociale, sociétale, de liens, de rencontre, un endroit où on peut tester des activités, où on retrouve la permission de faire pour créer des externalités positives sur le territoire.

Le tiers-lieu permet ainsi de casser les politiques publiques en silo.

C’est quoi la preuve par 7 ?

Il s’agit d’une démarche qui promeut le droit à l’expérimentation dans les domaines de « l’architecture, l’urbanisme et du paysage » en s’attelant à accompagner une diversité de problématiques sur des territoires très différents au niveau national et sur les outres mers en vue de démontrer que l’on ne peut plus avoir de réponse uniformisée à des problématiques d’habitabilité du territoire décidée par le haut et ex-nihilo.

Collectif qui développe la méthode de la permanence architecturale et urbaine sur le terrain même où la question d’aménagement reliée à la question sociale se pose : les architectes s’installent sur site afin de vivre le lieu avec les habitants et de comprendre comment une vie de quartier fonctionne.

La preuve par 7 se base sur 7 territoires, 7 échelles, 7 fondamentaux pour un droit à l’expérimentation en architecture – urbanisme et paysage

  • Habiter le terrain – mise en œuvre d’une permanence territoriale

Nouvelle façon de transformer la commande publique, en accompagnant les aménageurs et les différentes maitrises d’ouvrage et d’usage en amont de celle-ci. Comment accompagner ces faiseurs, ces opérateurs afin qu’ils puissent mieux comprendre et appréhender leur territoire dans toutes ces composantes, rénover le patrimoine avec l’activation des ressources locales pour permettre de créer des externalités positives ?

  • Révéler les possibles ignorés & construire une programmation ouverte

Expérimenter, avant de se lancer dans l’opérationnel de la commande, accepter d’associer et de responsabiliser le citoyen à la participation de l’écriture de la commande par son usage du territoire et rassembler le monde associatif, plus marginal et institutionnel. Ici et autour des questions de fabrique de la ville et d’habilité de nos territoires, il est exploré comment on partage le risque et les responsabilités ensemble, ce qui recrée de petites unités démocratiques de gestion.

« Cela recrée le lien entre le politique et sa population et il faut une réelle confiance pour faire cela. »

  • Réunir acteurs de la société civile, opérateurs et élus
  • Répondre à des enjeux de société par un urbanisme vivrier

* Faire école pour que chaque chantier devienne un lieu d’enseignement, de formation, de recherche

  • Prendre soin des lieux ordinaires et des hommes
  • Faire jurisprudence : expérimenter pour renouveler l’action publique et l’engagement de la société civile

 « L’échelle de la municipalité est la meilleure échelle démocratique. »

Par exemple, aujourd’hui dans les tiers-lieux, le citoyen invente des services d’aides à la personne deux fois plus vite que la puissance publique.

Ces expérimentations en actes en vue de passer commande permettent ainsi de mieux gérer l’investissement et le fonctionnement de ces opérations sur le long terme et légitime une communauté d’acteurs autour de la fabrique de celle-ci.

  • Le trio d’acteur : accompagner l’élu, le technicien, la société civile à faire autrement, à s’entraider et à partager les bonnes pratiques déjà éprouvées.

Il est donc nécessaire d’accompagner les acteurs locaux en fonction de leurs ressources (matérielle, immatérielle) pour réinventer une façon de vivre ensemble sur le territoire. On se sert de la fabrique de la ville, des projets locaux pour créer un projet de société. Ces expérimentations peuvent être des leviers pour réactiver la démocratie locale et faire fonctionner de nouvelles filières, travailler par exemple sur de nouvelles formes d’économie et de chaine de valeur autour des ressources géologiques locales et savoir-faire parfois oubliés en terme de construction.

Les ambitions

  • Que faire du patrimoine à l’abandon ? Travailler autrement sur les politiques foncières ; Comment trouver des financements pour investir dans les réhabilitations ? Comment je créé un espace qui répond aux besoins des habitants sans recréer un nième espace culturel très cher en fonctionnement ? (…)
  • Comment les architectes et urbanistes peuvent redevenir des tiers-acteurs, des corps intermédiaires, associés aux collectivités, institutions et société civile pour les accompagner dans la rédaction de commande publique afin qu’elle puisse répondre au plus juste des besoins du territoire en associant les habitants mais aussi en développement de nouvelles chaines de valeur dans les filières?

En se positionnant en tiers-acteurs, la preuve par 7 ambitionne d’être un lien entre les acteurs locaux et les services déconcentrés de l’État afin de travailler sur une réappropriation des politiques nationales pour les adapter aux besoins du territoire, composer avec les acteurs locaux et à s’outiller grâce aux expérimentations menées et solutions trouvées sur les terrains.

  • Faire reconnaitre ces expérimentations, explorations et jurisprudences par la mise en œuvre d’un Centre de Ressources dénommé « l‘École du Terrain », et mettre à l’épreuve le permis de faire, issu de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine de 2016 avec l’objectif de faire évoluer la commande publique.
  • Aller à la rencontre des personnes et des acteurs sur le terrain qui ont créé une jurisprudence et réussi à lever des freins en urbanisme, architecture ou paysage pour raconter leurs expériences et expertises et faire documenter, raconter pour alimenter les évolutions des politiques publiques.

« Il n’y a pas de contributions, sans qu’il y ait de rencontre ».

  • Raconter comment les projets ont été réalisés pour donner envie à d’autres de faire de même et d’écrire leur propre récit en fonction de leur territoire et besoins.

L’association Notre Atelier Commun porte la méthode PP7

L’association, née à la friche Belle de Mai à Marseille au moment de la première SCIC, permet de répondre à des expérimentations d’architecture et d’urbanisme.

Ces expérimentations permettent de tirer des leçons selon la typologie des projets, de faire remonter les externalités positives et jurisprudences à l’œuvre et de faire le lien avec les services centralisés et déconcentrés de l’État entre politiques nationales et politiques locales.

Par exemple, l’expérimentation de programmation ouverte à l’hôtel Pasteur (Rennes, Bretagne) a été réalisée avec cette méthode et est née de la problématique du maire de Rennes en 2013 concernant la vacance des nombreux bâtiments désaffectés et inoccupés sur la ville et le coût de la réhabilitation et mise aux normes afin de les proposer aux habitants demandeurs pour organiser des activités impensées ou hors des cades traditionnels et ainsi inventer un programme par l’usage.

Quelques bonnes pratiques ?

  • Pour faire tiers-lieu véritablement, il faut la petite échelle. On voit bien la limite des échelles de masse qui uniformisent, comme avec les projets ANRU. Jamais un tiers-lieu n’est reproductible et ne se fait à grande échelle. Il se dessine comme un tiers-aménagement qui produit un urbanisme plus vivrier comme réponse unique sur son territoire.

On peut tirer des enseignements de ce que l’on a réalisé à la petite échelle pour transformer un territoire et prendre les clefs, les outils de ce qui a été mis en place dans les tiers-lieux pour pouvoir passer à la grande échelle.

  • Favoriser le non programme pour un tiers-lieu ouvert à tous. SI l’on spécifie l’usage du lieu par une thématique unique alors cela exclut de fait le reste de la communauté non sensibilisée au sujet retenu et les moyens déployés en terme d’aménagement de l’espace sont plus couteux pour répondre à un usage unique dont on ne connait pas la temporalité du besoin.
  • Travailler en comité de pilotage régulièrement avec les élus et les techniciens donne toutes ses chances au projet de correspondre au mieux aux besoins des habitants.
  • Accompagner en ingénierie les petits territoires ruraux et déconcentrés afin de favoriser les réalisations collectives, la mutualisation de moyens.
  • Valoriser un droit à l’expérimentation : autoriser les expérimentations localement et en tirer les enseignements pour faire jurisprudence afin de rendre agiles ces dispositifs de politique publique en fonction des vraies opportunités territoriales, des ressources matérielles et immatérielles qui le composent. La prise de risque favorise l’innovation.
  • La permanence architecturale : il ne s’agit pas d’uniformiser, il s’agit de travailler sur l’appropriation des logements, d’étudier les modes de vie et façons de travailler de chacun, de relier habitat, travail, loisirs, etc., de comprendre comment une vie de quartier fonctionne et créer en site occupé à partir de toutes ces informations cumulées. Petit à petit, retisser le fil des liens sociaux, culturels, des liens d’appropriation du logement : le savoir habiter n’est pas inné pour tout le monde. Par ailleurs, l’habitabilité du territoire ne se cantonne pas au logement. Ainsi le logement concerne l’architecture, l’urbanisme, le milieu de vie, le tiers-lieu, etc.

La méthode

L’architecte s’intègre à la vie du quotidien, devient voisin, retisse le fil des liens sociaux, culturels, de l’appropriation du logement.

« La question de l’habitabilité du territoire y est centrale et elle ne se cantonne pas au logement. Elle concerne l’architecture, l’urbanisme, le tiers-lieu, etc. » d’où l’intérêt fondamental des tiers-lieux avec logement intégré ou unité de soin.

Repartir de cette valeur d’appropriation par les habitants pour continuer à avancer sur du sur mesure. Par exemple, valoriser l’entretien réalisé par un locataire dans un logement, qui ne sera donc pas à réinvestir par le bailleur.

Le travail sur l’appropriation ne peut se faire qu’à petite échelle (100 logements maximum).

Méthode attrayante pour les jeunes architectes qui mènent des projets de A à Z.

Les outils

Partout sur le territoire, de nouveaux modèles économiques, juridiques, de gouvernance partagée sont mis en œuvre. Il s’agit de les révéler grâce à un centre de ressources

« L’ École du terrain » collectif et numérique (lancé le 15 octobre 2022 !) pour partager toutes les bonnes pratiques et faire gagner du temps et de l’autonomie aux acteurs.

Les laboratoires de terrain : faire se réunir les collectivités locales, services concentrés et déconcentrés, ministères, acteurs et opérateurs autour de problématiques communes et proposer des solutions et actions concrètes et trouver une « agilité dans la commande publique ».

Par exemple, la preuve par 7 travaille avec l’EPFL (opérateur foncier du pays basque) sur la question de l’accès au foncier dans le pays basque, ce qui permet de travailler en amont avec les acteurs locaux et les habitants.

Le financement

La Preuve par 7 est financée par des fonds publics et transverses, notamment ministères de la transition écologique, de la culture, la Fondation de France et l’ANCT. Elle accompagne les projets en local avec un financement territorialisé pour des équipes autonomes et locales. Chaque projet est unique et dépend de financements uniques.

Pour aller plus loin

  • Une chaire partenariale : La Chaire Effet hébergée à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de la Villette.
  • Un Centre de ressources et de documentations dénommé « L’école du terrain » dont le lancement aura lieu le 15 octobre prochain
  • Un programme de recherche commun entre la Chaire de Philosophie à l’Hôpital et la Preuve par 7 dénommé « Le laboratoire des délaissés »
  • Un outil budgétaire et financier

Le cadre de réciprocité ou la Part d’économie de la contribution (Cf : la Myne, l’Hôtel Pasteur)

  • Une bonne pratique juridique

Pour l’opérationnel :

L’étude de faisabilité en actes – pour permettre la programmation ouverte

(Ex: l’Hôtel Pasteur à Rennes, le Couvent des Clarisses à Roubaix, l’ancien collège Jésuite de Billom : La perm)

Pour la gouvernance :

Le Partenariat Public Commun venant d’Italie

  • Une porte à laquelle frapper pour un bon conseil

Le réseau de la Myne à Lyon sur les questions de gouvernances, de communautés et de documentations

La 27 ème Région sur les politiques publiques et conseils juridiques

Le D.U « Espaces Communs » de Yes We camp

Le collectif d’architectes « Les Barbara » pour des conseils sur la permanence territoriale

La Preuve par 7 sur la programmation ouverte et question d’expérimentation en urbanisme et architecture

  • Un site internet où se promener

www.hotelpasteur.fr

www.lapreuvepar7.fr

  • Un agent qui vous a inspiré

Les maires de petites communes

  • Un tiers-lieu à visiter

L’Hôtel Pasteur ??? http://www.hotelpasteur.fr/

Témoignages

Chiffres clés

  • 4 années d’expérimentations (1ere convention 2018-2020 - 2eme convention 2021-2023)
  • 4 partenaires: Ministère de la transition écologique, ministère de la Culture, la Fondation de France et l'ANCT
  • Une 10 aine de projets accompagnés sur le territoire national et d'Outres mer, d'autres partenariats en cours et à venir
  • une 20aine de participation à des cours, séminaires, colloques, webinaires pour des écoles, la recherche, des collectivités, et autres institutions ou associations par ans
  • 7 salariés pour Notre Atelier Commun - Association qui porte la Preuve par 7

Bibliographie

La repolitisation par le service, Antoine Burret

Sophie Ricard

Co-directrice de la Preuve par 7