Fabrice Raffin est sociologue et maître de conférence à l’Université de Picardie – Jules Vernes, spécialiste des friches culturelles et collaborateur du Ministère de la Culture sur ce sujet depuis une vingtaine d’années. Dans cet article paru dans l’ouvrage collectif Poétique(s) du Numérique, il dresse une généalogie des friches culturelles, entre principes d’action inspirés des mondes du faire, incarnés notamment par les fablabs et makerspaces, et logiques sociales plus anciennes, telles qu’elles se sont cristallisées depuis les années 90 au sein des Nouveaux Territoires de l’Art1.
Dans cette mise en perspective historique, Fabrice Raffin trace un continuum entre les premiers représentants de cette mise en culture des friches industrielles (avec la Friche Belle de Mai2 à Marseille, le Confort Moderne3 à Poitiers ou encore L’Usine4 à Genève) et d’autres expériences de lieux artistiques gérés collectivement dans les années 70 (Ufa-Fabrik5 à Berlin / Melkweg6 à Amsterdam), et pousse jusqu’aux avant-gardes des mouvements, écoles artistiques (surréalistes, dadaïstes…) et salons à la charnière des XIXème et XXème siècles.
En miroir des hackerspaces et fablabs, et au-delà de leur “indétermination sémantique” liée à la diversité des projets politiques et des aspirations, il retient comme dénominateur commun à ces tiers-lieux, de générations et mondes disciplinaires différents, une attention aux modes d’organisation collective et à un “processus des possibles” : “Ce à quoi ils aspirent n’est pas très clair : tâtonner, expérimenter autour de différentes formes esthétiques d’une part, mais également, expérimenter les modes d’organisations et les modes de vie qui vont avec cette production de formes. Voilà qui donne un autre aspect des possibles expérimentations dans ces projets et leur caractère constamment mouvant, et qui font de ces projets des lieux culturels autant que des lieux de vie et d’expérimentation sociale.”
En écho aux thèses de Michel Lallement7, makerspaces, fablabs et friches culturelles convergent vers des rapports dissidents aux institutions et des redéfinitions du travail comme ouvrage : “dans ces collectifs (…) on ne travaille pas, on « œuvre » au sens qu’Hannah Arendt a pu donner à ce terme par opposition au travail : on peut y faire œuvre de résistance, œuvre d’art et on y devient maître d’œuvre de sa vie, l’œuvre du temps permet d’y construire des ressources et compétences.”
C’est, enfin, au-delà de l’idée de production, une identité commune de ces lieux qui émerge autour de logiques communautaires où le faire et l’activité individuelle contribuent à un collectif plus large, mais également aux territoires dans lesquels s’inscrivent ces lieux, devenant des instances d’implication citoyenne. Les travaux de Fabrice Raffin apparaissent ainsi comme une mise en perspective autant qu’une mise en écho entre des mondes et mouvements pluriels, dont les rapports de forces et principes traversent à des degrés divers les tiers-lieux aujourd’hui.