Les manufactures de proximité : des tiers-lieux de production

Comment est né le dispositif manufacture de proximité?

Le concept de Manufacture de Proximité a notamment émergé avec la mobilisation des makers dans les fablabs et les tiers-lieux lors du premier confinement en mars 2020. La pénurie de certains matériaux a cristallisé une prise de conscience sur l’importance de pouvoir s’appuyer sur des outils de production de proximité. Cette mobilisation s’est concrétisée par une proposition portée par l’association France Tiers-lieux (FTL) en juin 2020. Des échanges entre l’association France Tiers-Lieux, l’ANCT et les Ministères de la Cohésion des Territoires et de l’Économie des Finances et de la Relance ont permis d’affiner la proposition initiale et de lancer le déploiement de ces lieux sur l’ensemble du territoire dans le cadre du Plan de relance. L’idée avait germé et était dans l’air depuis plusieurs mois mais il fallait un accélérateur afin de la concrétiser. C’est ce qu’ont permis l’association France tiers-lieux et l’ANCT en portant cette proposition au plus haut niveau de l’État et en valorisant le besoin d’un tissu économique résilient et de proximité en cas de crise afin de répondre à des besoins ponctuels. Cette dimension productive est d’ailleurs le principal caractère différenciant de ces manufactures par rapport au réseau de plus en plus dense de tiers-lieux en France. Il y a eu un énorme travail entre l’idée évoquée en juin 2020 et l’annonce du lancement des 100 premières manufactures par le premier ministre en août 2021 avec un budget de 30 millions d’€ :

  • définir précisément le concept de Manufacture de proximité,
  • produire un cahier des charges adapté,
  • définir l’expression des besoins et les critères de sélection des projets en fixant les priorités…

« C’est un projet rondement mené ! Merci à l’association France tiers-lieux et à l’ANCT, opérateur du dispositif » : le premier ministre lançait le dispositif fin août 2021 et les 20 premiers lauréats étaient connus début décembre 2021.

Le long travail d’investigation mené en amont de la création du dispositif ainsi que le travail d’acculturation de l’administration concernant les tiers-lieux ont permis d’optimiser le temps de mise en œuvre. Cette capitalisation des savoirs couplée à l’opportunité créée par le Plan de relance en période post-crise sont des facteurs clé qui ont contribué à faire émerger ce dispositif dans de si brefs délais.

Quelle serait la marque de fabrique des manufactures ?

La particularité des tiers-lieux de production c’est leur modèle économique robuste lié à la relocalisation des unités de production elles-mêmes. Ce dispositif répond en premier lieu à un besoin clairement identifiés de locaux adaptés pour des artisans ou entrepreneurs qui vont par ailleurs pouvoir bénéficier d’un parc machines et d’outils mutualisé.

« Je suis confiant sur la viabilité des projets sélectionnés. »

Mais ce dispositif n’en est pour autant pas un projet immobilier d’entreprise ! L’aspect tiers-lieu est fondamental et apporte un supplément d’âme par rapport à un lieu de production classique. Les interactions y sont favorisées par l’animation du lieu qui renforce les possibilités de rencontre et de collaboration, soit autant de facteurs propice à l’innovation et au développement des opportunités économiques.

Les incontournables à connaître sur les manufactures ?

– Les collectivités territoriales doivent être partenaires des projets, c’est un signal fort en faveur de la durabilité de la manufacture sur le territoire. D’ailleurs, la maitrise foncière est identifiée comme un facteur clé pour assurer la pérennité économique du projet. Si la collectivité met à disposition le local, cela est une garantie forte pour la réussite du projet. – Le dispositif a été co-construit avec les acteurs après un travail de préfiguration essentiel. L’apport des experts déjà investis dans des projets de manufactures sur les territoires est un atout majeur pour écrire un dispositif qui correspond aux besoins du terrain. La capitalisation sur les expérimentations précédemment menées en faveur des tiers-lieux ont permet un gain de temps considérable.

D’ailleurs, la première étape est de confronter son idée au terrain. Le dispositif Manufactures de proximité est issu des rencontres avec les acteurs et de nos observations croisées. « On observe et on rencontre les équipes de projets et on rédige le dispositif en fonction. Le bottom up est plus efficace que de rédiger en chambre. »

Mais au fait, c’est quoi une manufacture de proximité?

Les manufactures sont plus qu’un espace de travail partagé, ce sont des lieux de vie ouverts sur leur environnement extérieur, accessibles aux habitants et aux professionnels présents sur le territoire. Ce sont des lieux :

  • de convivialité et d’échanges par l’organisation d’événements ou la présence d’un espace de restauration ouvert à tous ;
  • de transmission de savoir-faire, parfois patrimoniaux, par l’accueil d’apprentis, l’organisation de formations professionnelles en situation de travail ;
  • de découverte des métiers manuels par la visite de groupes scolaires le cas échéant ;
  • d’innovation, avec la possibilité de prototypage rapide grâce aux machines à commande numérique et d’expérimentation d’usage.

Si ces lieux s’adressent en premier lieu à des TPE, leur porosité avec leur écosystème et leur potentiel d’innovation permet aussi d’envisager des interactions avec le tissu industriel : production de petites séries et de prototypes, offre de formations, séances de créativité et d’innovation collective… Les tiers-lieux présents sur le plateau de Saclay en sont une illustration. La manufacture peut donc être un maillon supplémentaire à une stratégie de réindustrialisation à l’échelle d’un territoire et de relocalisation de la production à condition de mettre en place une offre de service qui répond à des besoins des entreprises implantées sur le territoires, en particulier dans les domaines de l’innovation et de la formation.

Les +++ des manufactures ?

  1. Le dispositif a été écrit dans la co-construction à toutes les étapes : de la création à la mise en œuvre en passant par le comité de sélection. Tout a été écrit à partir du dialogue constant entre l’administration et les acteurs. Par exemple, les composants du jury sont d’horizons très variés, tous experts sur des sujets différents, ce qui donne une réelle valeur ajoutée au dispositif et démontre la force de l’alliance de profils différents : cela crée un lien au travers de la fabrication de quelque chose de solide.
  2. Le programme d’ingénierie et d’accompagnement proposé aux lauréats est une vraie plus-value du programme : il ne s’agit pas de sélectionnés des projets et de leur verser une subvention, on leur propose un accompagnement de qualité pour sécuriser leur développement. Cette façon de faire assure que la dépense publique n’a pas été faite en vain et que la sélection de projets n’aura pas été qu’un pari. Derrière la sélection, le projet est accompagné dans sa consolidation avec l’objectif de devenir pérenne et on met toutes les chances de son côté pour atteindre cet objectif.

« La phase d’accompagnement sur une période de 2,5 ans prévue dans la conception du dispositif renforce encore davantage la robustesse et la pérennité des projets. C’est un vrai point fort du dispositif. »

Quel avenir souhaitez-vous à ce type de process organisationnel ?

Derrière la mise en œuvre d’un tel dispositif accompagnant le développement des projets, il y a, pour l’administration, l’intention de ne pas être juste un guichet. Cette mise en œuvre transforme le travail de l’administration : par exemple, sur ce dispositif un phénomène est détecté sur un territoire en l’occurrence les manufactures, après observation et analyse, il est reproduit à plus grande échelle et l’administration se donne les moyens d’accompagner le déploiement.

« Il ne s’agit plus seulement d’être un distributeur de subvention mais de co-construire avec les acteurs les dispositifs qui correspondent aux besoins des territoires.  Le dispositif Manufactures est l’illustration même de l’alternative possible à la logique de guichet. »

Quels points de vigilance avez-vous relevé ?

– Soutenir des entreprises peut s’avérer compliqué par rapport à la concurrence, au droit européen, etc. Le fait d’avoir 4 mois pour préciser avec le porteur le montant et la sécurisation, en lien avec des experts sélectionnés dans le cadre du marché public lève la contrainte juridique. – Il y a eu un fort enjeu de sécurisation juridique et de gestion administrative. Toute la documentation était à créer en partant de la feuille blanche. L’expertise de l’ANCT sur la compétence tiers-lieux a été indispensable pour repérer les acteurs engagés sur ces enjeux, les documents utiles et critères de sélection, respect des régimes d’aides d’Etat, etc.

Quels sont les objectifs du dispositif manufactures de proximité ?

  1. Le manque de locaux adaptés est un frein identifié pour le développement des activités économiques portées par des entreprises artisanales. La structuration des manufactures de proximité dans les territoires fragilisés, notamment ruraux et quartiers de la politique de la ville, constitue une expérimentation à grande échelle pour y remédier.
  2. Ces lieux offrent aussi un accès à un équipement professionnel mutualisé, dont des machines à commande numérique, dont l’acquisition est souvent trop onéreuse pour un professionnel isolé pour un temps d’utilisation limité. De plus, le travail d’animation permet de créer des synergies et une émulation propices au développement économique.

Qu’est-ce que les manufactures apportent aux territoires ?

Les manufactures sont un élément structurant pour le maintien ou le développement d’un tissu économique, et plus généralement, pour l’animation des territoires. Le tiers-lieu redonne vie à l’échelle d’un quartier ou d’une commune. L’ouverture vers l’extérieur recrée de nouvelles formes de sociabilité grâce aux échanges et débats sur des sujets en lien avec les transitions actuelles. « Ce sont des lieux d’échange propice à l’émerges de solutions nouvelles ». Nous parions également sur le fait que l’activité des Manufactures aura des effets induits sur la vitalité économique du tissu local. Les stagiaires en formation, les entreprises installées, leurs partenaires…créeront un flux propice au commerce local.

Et n’oublions pas leur apport potentiel dans la transmission de certains savoir-faire rares, spécifiques à un territoire donné qui fait partie de son patrimoine culturel immatériel.

Quelle est la pérennité évaluée de votre dispositif ? Quelles suites données ?

L’effort de l’État pour le développement des tiers lieux au travers du programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » est considérable, avec la contribution de nombreux ministères, dont celui de l’économie, des finances et de la relance plus spécifiquement pour les Manufactures. Une fois ces lieux essaimés, il s’agira de créer des synergies entre ces différents dispositifs ministériels, ainsi qu’avec les projets portés par les collectivités. Le soutien de l’État couvre essentiellement les besoins financiers pour assurer l’amorçage des projets, il faudra en assurer la pérennité sur le temps long grâce notamment à des synergies évoquées précédemment, mais aussi en renforçant les liens entre ces lieux et les administrations au-delà de la seul subvention. Je partage l’avis du Ministère de la Cohésion des Territoires à ce sujet : il faut vraiment passer d’une logique de subvention à une logique d’offre de services, y compris au profit des personnes publiques, collectivités territoriales et services décentralisés de l’État lorsque cela est pertinent.

Avez-vous un coup de cœur à nous partager?

Oui, faire vivre la créativité des artisans et leurs savoir-faire ancestraux.

« Les manufactures prennent tout leur sens quand elles entrent en résonance avec un savoir-faire patrimonial, spécifique à la région. Ainsi ces lieux peuvent proposer des formations pour des petits flux lorsque les centres de formation traditionnels ont fermé faute d’effectifs suffisants. Par exemple dans le textile il y a des savoir-faire très rares qui ne sont plus enseignés dans les écoles. Les manufactures sont des lieux idoines pour transmettre et faire vivre ces savoir-faire territoriaux en lien avec les entreprises qui les maitrisent encore. C’est déjà un très beau dispositif et pour aller plus loin, on pourrait, grâce aux manufactures, faire des ponts entre les artisans et les industries du territoire : pourquoi ne pas mettre la créativité des artisans au service de la recherche et innovation des industriels ? »

Chiffres clés

  • 100 manufactures
  • 30 M€ (plan de relance)
  • 14 mois de mise en œuvre
  • 3 AMI

Kristof de Meulder

Chef de projet économie des territoires à la DGE